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L’évolution des prix des logements au Grand-Duché de Luxembourg. Existe-t-il une « bulle immobilière » ?
La thématique de l’accès au logement est l’une des préoccupations majeures des résidents du Grand-Duché de Luxembourg. Les dépenses de logement constituent en effet leur premier poste de dépense
En réalité, le terme de « bulle », qui peut s’appliquer à la valorisation de tout type d’actif financier (une action, une obligation, etc.), n’est pas simplement synonyme de hausse importante du prix de cet actif. Une hausse forte et continue du prix des logements n’est donc pas une condition suffisante pour légitimer l’existence d’une bulle immobilière. En réalité, une bulle immobilière renvoie à une déconnexion entre la valorisation des actifs immobiliers (leur prix de vente) et les fondamentaux de l’économie. Une hausse forte et continue des prix des logements peut en effet avoir une explication très rationnelle tenant à un décalage entre une demande forte de logements et une croissance de l’offre ne permettant pas de satisfaire cette demande. Dans ce cas, le marché de l’immobilier résidentiel ne serait pas dans une situation de bulle immobilière, mais simplement dans une situation d’insuffisance de l’offre.
L’existence d’une bulle immobilière suggère en revanche qu’il n’est pas possible d’expliquer rationnellement la hausse des prix des logements par les seules évolutions de la demande et de l’offre de logements. Une bulle immobilière est bien souvent causée et amplifiée par des comportements spéculatifs d’acteurs qui cherchent à profiter de la croissance du marché pour réaliser de fortes plus-values dans un laps de temps limité. Le risque est alors l’ « éclatement » de cette bulle immobilière et un retournement rapide du marché, du fait de changements extrêmement rapides dans les anticipations des acteurs du marché.
Dans le cas d’une forte hausse des prix des logements, on voit ainsi que les solutions potentielles apportées par les responsables politiques seront sensiblement différentes selon que le marché soit en phase de bulle ou non. Dans le cas d’une hausse des prix des logements pouvant être expliquée par les fondamentaux, les décideurs politiques devront s’atteler à réduire l’écart entre offre et demande potentielle de logements, en favorisant la mise sur le marché de logements nouveaux, en améliorant la mobilisation des logements existants et en promouvant de nouvelles formes de logements pour optimiser l’offre. Dans le cas d’une bulle immobilière, il s’agira surtout de guider les anticipations des acteurs, en limitant les possibilités de plus-values tout en faisant attention à ne pas faire « éclater » la bulle immobilière pour ne pas générer une baisse généralisée des prix des logements, potentiellement déflationniste.
Ceci suggère que l’identification des bulles sur les prix des actifs revêt un caractère essentiel. Il est d’autant plus important de détecter au plus tôt la formation de bulles immobilières que leur éclatement peut avoir des conséquences importantes, à la fois sur l’activité économique du pays victime de cette bulle immobilière, mais également sur les marchés des pays partenaires puisque les mêmes acteurs (banques, investisseurs, etc.) opèrent aujourd’hui sur les marchés de différents pays.
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La littérature économique distingue différentes approches. Une approche assez courante vise à analyser l’évolution du ratio loyers/prix de vente des logements sur longue période. L’idée sous-jacente à ces travaux est qu’une déviation forte et durable de ce ratio par rapport à sa valeur de longue période indique un déséquilibre. En effet, une hausse beaucoup plus forte des prix de vente par rapport aux loyers devraient en théorie inciter les ménages à se tourner davantage vers la location, ce qui aurait pour conséquence de freiner la hausse des prix de vente et de générer une hausse des loyers. Si un tel mécanisme régulateur ne se produit pas, il s’agit d’un indice de l’existence de comportements spéculatifs de la part d’acteurs dont l’objectif n’est pas d’occuper les logements qu’ils achètent, mais exclusivement de revendre ces logements en profitant d’une substantielle plus-value.
L’approche retenue par le CEPS/INSTEAD dans son étude de février 2013 choisissait une autre perspective : il s’agissait de construire et d’estimer un modèle de valorisation immobilière pour retracer un « prix d’équilibre théorique » sur le marché de l’immobilier résidentiel, uniquement fonction des évolutions de l’offre et de la demande sur ce marché. Une déviation du prix observé par rapport à ce prix d’équilibre théorique indiquerait alors une déconnexion entre les prix des logements et leurs déterminants habituels, permettant là encore de révéler des comportements spéculatifs.
Du côté de la demande de logements, il ressortait que les principaux déterminants en action au Grand-Duché de Luxembourg sont le taux de croissance des revenus des ménages, l’évolution du nombre de ménages total résidant sur le territoire luxembourgeois, et enfin le niveau des taux d’intérêt sur les crédits hypothécaires. Ces trois grands déterminants ont contribué assez fortement à la croissance des prix des logements ces dernières années : la croissance économique, certes en forte baisse par rapport aux évolutions observées au début des années deux-mille, s’est maintenue à des niveaux supérieurs à ceux observés dans la plupart des pays voisins. La croissance démographique est également restée très soutenue aux cours des dernières années, avec un solde migratoire très positif (environ 10.000 individus supplémentaires par année depuis 2010) et un solde naturel (excédent des naissances sur les décès) positif également (+ 2.000 individus par an depuis 2010). Ceci implique une croissance de la population d’environ 2,5% par an depuis 2010. Enfin, les taux d’intérêt appliqués sur les crédits hypothécaires ont joué un rôle important dans la diffusion de l’accès à la propriété parmi les ménages résidant au Grand-Duché de Luxembourg. Selon les chiffres de la Banque Centrale du Luxembourg sur les nouveaux contrats de crédit, le taux d’intérêt moyen pour un crédit à taux variable était de 1,85% en juin 2014, contre 5,22% en août 2008.
Du côté de l’offre de logements, les analyses du CEPS/INSTEAD mettaient en avant deux déterminants importants des prix des logements : le stock total de logements et les coûts de la construction. Une mesure annuelle du stock de logements avait ici été construite par le CEPS/INSTEAD à partir des Recensements de la Population réalisés tous les dix ans par le STATEC, complétés chaque année à l’aide des statistiques sur les bâtiments achevés et en supposant un taux constant de dépréciation du stock de logements (correspondant à la disparition de logements trop anciens).
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Selon les analyses du CEPS/INSTEAD, le prix d’équilibre théorique construit à partir des variables ci-dessus suivait assez bien le prix des logements observé sur la période 1974-2011. Deux phases de surévaluation avaient toutefois pu être mises en évidence : une première phase (entre 1986 et 1992) révélait une hausse des prix effectifs des logements supérieure aux prédictions du modèle théorique. Une deuxième phase (entre 2006 et 2008) suggérait aussi une surévaluation des prix des logements d’environ 6%. Toutefois, la baisse des prix des logements observée en 2008-2009 avait permis un retour au prix d’équilibre théorique, et il ne semblait plus y avoir de surévaluation à la fin de l’année 2011.
En définitive, les analyses menées par le CEPS/INSTEAD ne suggérait pas l’existence d’une bulle immobilière en fin d’année 2011 : la hausse des prix des logements observée depuis plusieurs décennies au Grand-Duché de Luxembourg s’expliquait dans ce cadre par le décalage important entre la demande de logements (tirée par la croissance démographique et le niveau historiquement bas des taux d’intérêt) et l’offre (limitée à environ 3.000 logements nouveaux par an en moyenne depuis 2005, selon les statistiques des bâtiments achevés du STATEC). Aucun mouvement spéculatif de grande ampleur ne semblait venir interférer dans le fonctionnement du marché de l’immobilier résidentiel.
Ce constat, n’allant pas dans le sens de l’existence d’une bulle immobilière en 2011, ne signifie aucunement qu’il n’existe pas de problème lié au marché du logement au Grand-Duché de Luxembourg. L’insuffisance de l’offre de logements en comparaison du dynamisme de la demande conduit également à une hausse inquiétante de la proportion de leurs revenus que les ménages qui accèdent à la propriété consacrent aux dépenses de logement. La hausse des prix de vente se traduit également sur le niveau des loyers et touche ainsi indirectement les ménages locataires, qui sont bien souvent les ménages les plus fragiles. Dès lors, l’augmentation de l’offre de logements, par la mobilisation du foncier disponible et un effort de construction de logements renforcé, figure en tête des priorités affichées par la nouvelle coalition.
Enfin, il faut noter que l’analyse du CEPS/INSTEAD reposait sur des données rétrospectives, qui ne permettaient d’analyser la question de la bulle immobilière que jusqu’en 2011. Or, l’identification d’une potentielle bulle immobilière devrait pouvoir intervenir le plus rapidement possible, et non avec trois ou quatre années de décalage. C’est pourquoi le CEPS/INSTEAD travaille activement à la création d’un nouveau modèle de valorisation dans l’optique d’identifier beaucoup plus précocement la formation de bulles.
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